HEPATITE ET PAS TOI ? |
VIVRE AVEC UNE HEPATITE C :
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Au delà de ses manifestations physiques, l'hépatite chronique C apporte son lot d'interrogations, de doutes, d'angoisses, d'autant plus difficiles à gérer que l'on se sent bien seul.
Le médecin a pris les précautions d'usage, a pesé ses mots, et a fini par lâcher : "vous avez une hépatite chronique C". C'était donc ça : vous êtes l'une des 500 000 victimes françaises de ce "problème majeur de santé publique", comme disent les spécialistes. Pour vous, il ne s'agit pourtant pas de santé publique mais quelque chose d'éminemment privé, d'intime. Ces quelques mots vous ont fait basculer dans un autre monde, celui des maladies chroniques.
Et brusquement, le doute s'installe. Oh, bien sûr, le médecin s'est montré rassurant mais il a prononcé, au détour des phrases, des mots menaçants : cirrhose, cancer. Il les a adoucis avec quelques considérations générales sur la lenteur de l'hépatite, les perspectives thérapeutiques, mais seuls ces mots vous hantent. Pas les nuances qui les accompagnaient.
Vous aimeriez en savoir plus, mais la consultation n'est hélas pas le lieu où l'on peut prendre le temps de réfléchir.
Commence alors un délicat face à face avec soi-même, à l'origine de réactions aussi diverses qu'il y a d'individus contaminés. Les uns se sentent coupables, les autres victimes. Certains refusent l'idée même d'être malades; d'autres, au contraire, s'y complaisent, comme si l'hépatite pouvait justifier à postériori tous leurs problèmes existentiels.
Si les réactions varient d'une personne à l'autre, certains sentiments semblent néanmoins largement partagés. Parmi eux, le désarroi et la solitude figurent en bonne position.
Le désarroi, parce qu'on ne sait pas comment réagir : faut-il se montrer inquiet ou confiant ? L'hépatite C est une maladie paradoxale : d'un côté on ne se sent pas vraiment malade; de l'autre, il est écrit que l'on court un risque qui peut être mortel.
Il est difficile d'exprimer ce désarroi à un tiers. L'entourage oscille entre indifférence et effroi, le médecin semble vouloir vous condamner à la passivité. Vous lui demandez ce que vous devez faire. "Attendre" répond-il, laconique comme un médecin peut l'être. Alors, vous vous sentez terriblement seul.
Combien de fois ai-je entendu cette question : "Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour que ça m'arrive à moi ?". Comme si le destin choisissait les victimes auxquelles il allait inoculer le virus de l'hépatite C.
Bien sûr, certains malades ont pris plus de risques que d'autres. On pense au toxicomane qui a utilisé du matériel mal désinfecté; on pourrait aussi évoquer le chauffard du dimanche qui, victime de son inconscience, a eu un accident de la route, et a été sauvé par une transfusion, elle-même à l'origine d'une contamination.
D'autres n'avaient pris aucun risque et ont le sentiment d'avoir tiré le mauvais numéro à la loterie de la vie. Survivre à une grave maladie et, des années plus tard, découvrir que, en plus de la guérison, le séjour à l'hôpital vous a fait cadeau d'une hépatite chronique : il faut être quelqu'un d'exceptionnel pour ne pas y voir un acharnement de la malchance.
Pour autant, l'hépatite chronique n'est pas une punition divine. Le virus de l'hépatite C n'est rien d'autre qu'un virus. C'est un squatter, pas un justicier.
En parallèle à ces questions, il faut affronter la médicalisation. Oubliez que vous êtes malades, les rendez-vous avec le médecin, en ville où à l'hôpital, et les prises de sang régulières se chargeront de vous le rappeler. Et puis, il y a le traitement par interféron, long, pesant, pas toujours facile à supporter, et déjà stigmatisant en soi. Imaginez un peu trois piqûres par semaine pendant un an, environ cent cinquante injections à réaliser... Si tout cela ne signifie pas être malade, cela y ressemble étrangement.
N'en rajoutons pas. Inutile de charger encore la barque avec des interdits supplémentaires, des médicaments hépatoprotecteurs ou des poudres de merlinpinpin qui ne servent qu'à enfermer un peu plus dans le statut de malade.
Car, pendant ce temps, la vie continue. Malgré la maladie, malgré la fatigue, il faut quand même aller au bureau, au supermarché, passer à la crêche prendre le petit dernier et, le dimanche, supporter cette insupportable réunion de famille annuelle. Dire non à tout cela, c'est s'exclure de son environnement social. Refuser deux fois une invitation, il n'y en aura pas de troisième. Mais vouloir tout encaisser, vivre normalement malgré l'hépatite, n'est pas toujours facile non plus. On se retrouve seul à souffrir. En apparence, on a évité l'exclusion, mais on peut la vivre de l'intérieur. Et comme il se doit, on évite d'en parler, de peur de passer pour un dérangé.
La gestion d'une maladie chronique comme l'hépatite est, culturellement, quelque chose de totalement nouveau, d'inédit. Cela nécessite de sortir du schéma traditionnel, avec des médecins détenteurs d'un savoir et des malades consommateurs de prescriptions. La lutte personnelle contre le virus de l'hépatite C se pense à long terme, individuellement mais globalement. Il faut la considérer dans ses répercussions sur la vie professionnelle, familiale, affective. A travers son système immunitaire, c'est l'individu lui-même qui est l'acteur de ce combat. Un combat à mener en intelligence avec la médecine, ni contre elle, ni sous sa domination.
Vivre avec une hépatite chronique, avec lucidité mais sans résignation, c'est possible. Au cours de ces dernières années, j'ai eu la chance de rencontrer beaucoup d'autres malades, parfois bien plus gravement atteints que moi, qui avaient choisi de prendre leur destin en main. J'en ai vu se battre avec une énergie farouche pour obtenir une indemnisation; j'en ai vu changer de métier, créer leur entreprise; j'en ai vu qui consacraient leur temps aux autres, qui se démenaient pour faire vivre une association de malades.
Mais il y a aussi cette jeune femme, rencontrée un jour dans la salle d'attente de l'hôpital. Elle ne voulait plus avoir d'enfant, au motif qu'elle était contaminée par le virus de l'hépatite C. Laissez moi espérer que le temps a fait son travail et que le goût de la vie a repris le dessus.