HEPATITE ET PAS TOI ? |
ENJEUX JURIDIQUES LIES AU VHC |
Les enjeux juridiques de l'hépatite C sont liés à certains modes de transmission de la maladie, en particulier la contamination par transfusion sanguine ou par greffe d'un élément du corps humain, ou encore à l'occasion d'une hospitalisation ou de la réalisation d'un acte médical.
A chacune de ces situations correspond un droit particulier qui prend sa source dans la jurisprudence des juges administratifs lorsqu'il s'agit d'établissements publics de santé ou de personnes morales de droit public, ou dans la jurisprudence des juges judiciaires dès lors que des structures de droit privé sont en cause.
A ce jour, la jurisprudence relative à la contamination du virus de l'hépatite C se limite aux cas de contamination par transfusion sanguine et au sein même de cette catégorie, la quasi-totalité des contentieux est en cours de procédure et n'a donné lieu qu'à des référés dans l'attente des jugements de fond. Enfin, les juridictions supérieures de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire n'ont pas encore fait connaitre leur position sur la contamination par ce virus et le peu d'arrêts des juridictions de fond dont nous disposons apparaissent relativement disparates et parfois divergents dans la détermination de l'indemnisation des victimes de contamination.
A titre préliminaire, la spécificité du virus au regard du droit doit être soulignée (tant en ce qui concerne ses modes de contamination que les manifestations de la maladie et les traitements disponibles pour atténuer ou faire cesser celles-ci) afin de préciser les caractéristiques juridiques de la contamination par ce virus et de le distinguer principalement du virus de l'immuno-déficience humaine (VIH).
Ainsi, contrairement au VIH, la contamination par le virus de l'hépatite C ne débouche sur une maladie chronique (puis une cirrhose ou un cancer primitif du foie) que dans un pourcentage limité de cas et peut, dans certaines situations, largement bénéficier d'un traitement approprié. Or, ces caractéristiques ne sont pas sans incidence sur la reconnaissance éventuelle d'un préjudice spécifique de contamination, sachant que cette notion, qui est appliquée par les juridictions judiciaires aux contaminations par le VIH, repose avant tout sur l'existence d'un risque de mortalité proche de 100%.
De plus, l'ignorance d'une part non-négligeable des causes de transmission du virus rend difficile la détermination de l'imputabilité de la contamination et, simultanément, rend malaisée une politique de prévention adaptée.
Dernière spécificité à prendre en compte : le caractère relativement récent de la mise à disposition de tests permettant de suspecter la présence du virus dans les éléments du corps humain et notamment dans le sang destiné à être transfusé n'a pas été attribué à une faute de l'Etat susceptible d'engager la responsabilité de ce dernier, à la différence des circonstances de mise sur le marché des tests de dépistage du VIH.
Ces différences substantielles expliquent que l'hépatite C, en droit, n'est en rien assimilable au VIH pour lequel un fonds d'indemnisation spécifique a été créé en décembre 1991 pour venir en aide aux victimes de contamination par transfusion sanguine.
Dans ce chapitre consacré aux enjeux juridiques liés à l'hépatite C seront successivement examinés : les différents régimes de responsabilité liés à l'hépatite C, les difficultés soulevées par la détermination de l'imputabilité et l'indemnisation des différents préjudices par les juges.
DES REGIMES DE RESPONSABILITE QUI VARIENT SELON L'ORIGINE DE LA CONTAMINATION |
Il convient de distinguer les deux cas les plus vraissemblables de mise en cause de la responsabilité des acteurs de santé à l'occasion d'une contamination par le virus de l'hépatite C : d'une part l'administration ou la transfusion de produits sanguins contaminés et, d'autre part, l'infection à l'occasion d'une hospitalisation dans un établissement de santé public ou privé. Seul le premier cas a donné lieu à jurisprudence à ce jour.
Là encore, une distinction s'impose entre les organismes fournisseurs des produits destinés à être transfusés aux patients et les établissements de soins assurant la réalisation de la transfusion de produits sanguins labiles ou l'administration des médicaments dérivés du sang.
En vertu d'une jurisprudence judiciaire constante validée par un arrêt de la Cour de cassation du 12 avril 1995, les centres de transfusion sanguine gérés par des personnes morales de droit privé (en l'occurrence des associations loi de 1901) sont responsables des conséquences dommageables dues à la fourniture du sang nocif, qui est à l'origine de la contamination, alors même que la présence du virus (dans l'arrêt précité, il s'agissait du VIH) était, en l'état des connaissances scientifiques et médicales et des tests de dépistage disponibles, indécelable. Les centres de transfusion sont par conséquent redevables d'une obligation de livrer un sang non vicié, quels que soient les moyens dont ils disposent pour s'assurer de l'absence de vice, appelée couramment "obligation de sécurité".
Cette responsabilité dite "objective" en ce qu'elle n'implique pas la preuve préalable d'une faute commise par l'auteur du dommage, trouve son équivalent dans la jurisprudence récente du Conseil d'Etat qui dans trois arrêts rendus le 26 mai 1995 a établi la responsabilité "sans faute" des centres de transfusion gérés par des personnes morales de droit public (en l'occurrence des établissements publics de santé). De manière identique à la Cour de cassation, le Conseil d'Etat tient le centre de transfusion pour responsable alors même qu'il est établi que ce dernier n'a commis aucune faute, ayant mis en oeuvre l'ensemble des moyens disponibles pour déceler la présence du virus dans le sang.
Cette jurisprudence dont les exemples précités concernent le virus du VIH est tout autant applicable à un qulconque autre virus présent dans le sang et susceptible de le rendre "nocif", tel celui de l'hépatite C. S'il n'existe pas encore d'arrêt de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat relatif à des contaminations par le virus de l'hépatite C, celles-ci ont déjà donné lieu à jurisprudence par les tribunaux et cours de niveau inférieur, tendant également à établir la responsabilité objective des centres de transfusion du fait de la fourniture de produits sanguins viciés.
Il reste toutefois à déterminer si cette doctrine de la responsabilité objective est susceptible de s'appliquer à d'autres produits préparés à partir d'éléments du corps humain et destinés par exemple à être greffés. En effet, la notion de produit ne se réduit pas aux seuls médicaments, dont la caractéristique est d'avoir fait l'objet d'une préparation industrielle.
Ainsi les produits sanguins labiles, à la différence des produits sanguins dits "stables" (à l'exemple des facteurs VIII iy des immunoglobulines), ne constituent pas, en vertu de la loi du 4 janvier 1993, des médicaments, et ne sont donc pas soumis à la législation pharmaceutique. En effet, dans le cas des produits labiles, le don de sang subit une transformation assez faible jusqu'à l'attribution de la poche de sang au receveur et les possibilités de conservation sont relativement limitées dans le temps. En outre, chaque unité de produit sanguin labile possède des caractéristiques immuno-hématologiques uniques contrairement aux médicaments dérivés du sang dont les propriétés sont standardisées au terme d'un processus industriel complet.
Toutefois, les organismes fournisseurs des produits sanguins labiles, soumis à un régime juridique spécifique, à l'instar des producteurs de médicaments, se voient appliquer par les juridictions un régime de responsabilité objective, sans tenir compte de l'état des connaissances scientifiques, du fait de la fourniture de "produits" et non du fait de la réalisation d'actes médicaux, anticipant ainsi la transposition de la directive de la Communauté européenne du 25 juillet 1985 relative à la "responsabilité du fait des produits défectueux" dans le droit français.
Cette dernière laisse, en effet, ouverte au choix des Etats membres la possibilité d'exonérer ou non les "producteurs" du risque de développement qui, dans le cas de l'hépatite C, pourrait correspondre à la fenêtre de séroconversion pendant laquelle les anticorps ne sont pas décelables. Or, en l'état actuel de la jurisprudence judiciaire et administrative, le vice indécelable n'est pas susceptible d'exonérer les producteurs. En effet, la présence du virus ne constitue pas pour les juges français un cas de "force majeure", à savoir une cause "étrangère au produit".
Il ne serait par conséquent pas improbable que les organismes préparateurs et fournisseurs de moelle ou de tissus humains soient soumis par la jurisprudence judiciaire et administrative à un régime de responsabilité objective identique à celui appliqué aux produits sanguins labiles, et ne prenant pas en considération l'éxonération pour risque de développement. Il n'existe, en tout état de cause à ce jour, aucune jurisprudence qui permette d'écarter ou de retenir une telle hypothèse.
A l'occasion des arrêts cités plus haut, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont été amenés à préciser quelle était la nature de la responsabilité de ces établissements dans le cadre du traitement des malades hospitalisés ou suivis en leur sein.
Ainsi, pour la Cour de cassation (12/04/95), la responsabilité d'un établissement de santé privé ne peut être établie que s'il est démontré que celui-ci avait la possibilité de contrôler la qualité du sang transfusé, étant entendu que ces établissements sont tenus à une simple obligation de prudence et de diligence dans la fourniture au malade des produits sanguins livrés par un centre de transfusion.
De même, pour le Conseil d'Etat, la responsabilité "sans faute du service public hospitalier", dans l'hypothèse où il ne peut être établi qu'une faute a été commise par l'hôpital, est engagée à l'occasion de la contamination par transfusion sanguine à raison de l'activité de fourniture des produits sanguins par le centre de transfusion qui lui est rattaché et non de l'activité de dispensation de ces produits par les services de soins qui ont effectué la transfusion. C'est pourquoi, dans l'un des arrêts rendus le 26 mai 1995, le Conseil d'Etat a estimé que l'Assistance Publique de Marseille n'était pas responsable d'une contamination par transfusion sanguine, le sang ayant été fourni par le centre de transfusion géré par une association distincte juridiquement de l'établissement public.
Il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence établissant la responsabilité des établissements de soins du fait d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une infection nosocomiale. Toutefois, si un tel cas devait se produire, il conviendrait d'appliquer les principes de responsabilité dégagés par la jurisprudence judiciaire concernant les établissements de santé privés, et administrative concernant les établissements publics de santé. En tout état de cause, le régime de responsabilité s'apparenterait vraisemblablement aux régimes classiques de responsabilité "pour faute" appliqués aux actes médicaux et actes de soins.
Depuis 1992 (10 avril 92), le Conseil d'Etat applique un régime de responsabilité pour faute simple tant pour les actes d'organisation ou de fonctionnement du service (qui comprend notamment les actes de soins) que pour les actes proprement médicaux.
Les cas de responsabilité sans faute en matière médicale sont, quant à eux, limitativement énumérés et se sont enrichis, en 1993 (9 avril 93), du risque exceptionnel qui nécessite la réalisation des critères suivants :
Il est vraisemblable qu'une infection nosocomiale par le virus de l'hépatite C ressortirait plutôt du régime de responsabilité pour faute simple que du régime de responsabilité sans faute du fait de la réalisation d'un risque exceptionnel.
Il existe entre la clinique et le patient un contrat de soins en vertu duquel la clinique exerce trois fonctions distinctes pour lesquelles sa responsabilité peut être mise en jeu : la fourniture de matériels et de produits, la mise à disposition du personnel auxiliaire médical et la surveillance du patient. En outre, il existe également un contrat liant le médecin exerçant dans la clinique au patient qu'il traite, pour lequel sa responsabilité personnelle peut être engagée. Il conviendra, là encore, de distinguer selon les circonstances de la contamination par le virus de l'hépatite C, si celle-ci est susceptible d'engager la responsabilité de la clinique ou du médecin.
UN MODE PARTICULIEREMENT DELICAT DE DETERMINATION DE L'IMPUTABILITE MEDICALE DE LA CONTAMINATION |
Pour que le juge retienne la responsabilité d'un centre de transfusion sanguine ou celle d'un établissement de santé, il importe au préalable d'établir la causalité de l'acte incriminé et de l'hépatite.
Ainsi un expert devra tout d'abord établir la réalité de l'infection et son degré d'évolution, puis rechercher si le patient a été hospitalisé et s'il est établi qu'il a été transfusé avant que les signes de la maladie ne soient perceptibles.
L'imputabilité transfusionnelle nécessite, d'une part que soit prouvée la transfusion ou l'administration de produits sanguins, d'autre part que d'autres causes de la contamination soient écartées et notamment celles ayant trait à la vie privée de la victime, et enfin que l'enquête transfusionnelle ne conclue pas à la séronégativité de l'ensemble des donneurs prélevés en vue de transfuser cette personne. Au cas où un ou plusieurs donneurs ne seraient pas retrouvés ou à fortiori si un donneur était retrouvé séropositif, le doute tend généralement à profiter à la victime, dès lors qu'il n'existe pas d'élément de preuve attestant de la contamination de celle-ci par d'autres voies.
Or le mode de détermination de l'imputabilité transfusionnelle tel qu'il vient d'être décrit, s'il est relativement satisfaisant pour les victimes, est loin de garantir une parfaite équité pour les acteurs de santé, et notamment les centres de transfusion sanguine. En effet, l'une des difficultés majeures liées à l'imputabilité de l'hépatite tient à l'ignorance d'une part non négligeable des causes de transmission de l'hépatite C. En outre, la séropositivité d'un donneur retrouvé quelques années après son prélèvement de sang, qui n'avait pas pu être testé au moment du don en raison de l'inexistence des tests à cette époque, peut être intervenue postérieurement au don en cause sans que la preuve puisse en être apportée. La méthode utilisée pour établir l'imputabilité est donc de fait assez peu précise, le juge étant le plus souvent amené à se satisfaire d'une simple présomption de causalité.
DE FORTES VARIETES DANS L'INDEMNISATION DES PREJUDICES |
Il n'existe pas à ce jour de position unifiée des tribunaux en matière d'indemnisation des préjudices causés par l'hépatite C. Toutefois, parmi les deux grandes catégories de préjudices, à savoir les préjudices économiques dits "patrimoniaux" et les préjudices non économiques dit "extrapatrimoniaux", seule la seconde connaît de fortes variations dans l'étendue de son champ et les critères d'indemnisation.
Ce type de préjudice vise principalement les frais médicaux et les pertes de revenus professionnels.
S'agissant des frais médicaux, ils se répartissent pour l'hépatite C essentiellement entre le remboursement à la caisse primaire d'assurance maladie, si elle exerce un recours en ce sens, du coût du traitement par l'interféron, et au patient, des frais d'hospitalisation, dès lors que ce dernier a pris à sa charge le ticket modérateur.
S'agissant des pertes de revenus professionnels, il reviendra au juge de déterminer, après expertise, si le degré d'avancement de la maladie est compatible avec la poursuite d'une activité professionnelle et si les manifestations de la maladie ont pu entraîner une diminution des revenus. Dans certains cas, le traitement a l'interféron aura pu entraîner une incapacité de travail partielle, comme en témoignent certains arrêts des juridictions judiciaires de première instance et d'appel.
Cette seconde catégorie varie fortement d'un tribunal à l'autre, en l'absence de toute jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat.
Pour certains, Il ne peut être question de reconnaître un préjudice spécifique de contamination identique à celui qui est reconnu en matière de VIH, qui donnerait lieu à indemnisation dès que la séropositivité serait constatée et ce, sans attendre la manifestation de la maladie. Car selon eux, les deux composantes essentielles du préjudice spécifique ne sont pas applicables à l'hépatite C :
Toutefois, les juges du fond ont, dans un nombre non négligeable d'affaires, entendu indemniser :
Le préjudice moral a ainsi donné lieu dans certaines affaires à une indemnisation de l'ordre de 500000 F, alors que dans d'autres cas, le montant d'indemnisation accordé par le juge n'atteignait pas 20000 F. Cette forte divergence s'explique au delà des considérations d'espèce prises en compte par les juges, par la tentation de certaines juridictions d'assimiler le préjudice moral né de la contamination par l'hépatite C au "préjudice spécifique" dégagé par la jurisprudence en matière de contamination par le sida.
Il ressort que les enjeux juridiques liés à l'hépatite C sont encore à peine esquissés à ce jour et posent plus largement la question du régime de la responsabilité du fait des produits du corps humain en général et de la prise en compte de "l'aléa thérapeutique". La responsabilité dite "objective" ou "sans faute" des organismes préparateurs des produits sanguins, si elle a pour avantage d'indemniser les victimes de contamination par transfusion, a pour contrepartie de faire peser sur lesdits organismes une obligation de "résultat" sans qu'il soit tenu compte des moyens dont ils disposaient pour accomplir celle-ci.